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Les victimes de violences dans les zones rurales : captives et contrôlées

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Au Royaume-Uni une étude, qui s’est déroulée pendant 18 mois, montre que la réponse de la police à la violence dite « domestique » en milieu rural, est « largement inadéquate ». Les victimes dans les zones rurales sont plus isolées, moins soutenues et protégées.

Le National Rural Crime Network s’efforce de mieux faire connaître les problèmes et les répercussions de la criminalité dans les régions rurales, afin que l’on puisse davantage assurer la sécurité des victimes.

En 2017, cet organisme a eu pour projet de découvrir en quoi l’expérience de la violence domestique dans les campagnes anglaises, et la demande d’aide à cet égard, est différente de celle en zone urbaine.

Les membres de la police et les commissaires du NRCN se sont inquiétés de recevoir de plus en plus de commentaires identiques de victimes de violence en zone rurale.

Il y avait en effet des similitudes d’un bout à l’autre du pays, des histoires répétées, une absence de services et un manque de compréhension de la nature unique et insidieuse de la violence familiale en milieu rural.

Les chercheurs du NRCN se sont entretenus avec 67 victimes dans sept zones de maintien de l’ordre, dans le Sud, les Midlands et le Nord (Durham, Derbyshire, Devon et Cornwall, Dorset, Lincolnshire, North Yorkshire et Nottinghamshire). 62 personnes étaient des répondantes et sur les 5 hommes interrogés, 3 étaient agressés par des hommes.

Les chercheurs ont également réalisé une série d’entrevues distinctes avec 51 intervenant.e.s socio-judiciaires. L’enquête comprenait un examen de la documentation universitaire, ainsi qu’un sondage auprès d’un groupe distinct de 881 survivant.e.s de violence, recrutées pour la recherche par l’intermédiaire de services de soutien aux victimes. Sur les 881 personnes interrogées, 57 étaient des hommes soit 6,5 %.

Leur rapport Captive & Controlled : Domestic Abuse in Rural Areas, publié le mercredi 17 juillet, constate que la sortie de la violence est plus difficile, prend plus de temps et s’avère plus compliquée pour les victimes dans les zones rurales.

Il existe en effet des obstacles supplémentaires dans les communautés rurales par rapport aux zones urbaines. Les victimes à la campagne sont deux fois moins susceptibles de signaler la violence à d’autres personnes. En outre, elles ont été victimes de violence 25 % plus longtemps, selon le rapport.

Les agresseurs profitent des milieux ruraux pour isoler et contrôler les victimes. Le rapport explique à juste titre que

l’isolement physique est sans doute la meilleure arme dont dispose un agresseur et il a un impact profond sur le sentiment de captivité de la victime.

Les agresseurs déplacent les victimes vers les milieux ruraux pour les isoler davantage, ou utilisent systématiquement l’isolement à leur avantage, si elles vivent déjà dans un endroit isolé. Plus le milieu est rural, plus l’impact de cet isolement s’ajoute à l’isolement financier et social. Non seulement cela aide les agresseurs à contrôler leurs victimes pendant leur relation, mais cela rend aussi plus difficile pour les victimes d’échapper à cette violence.

Une interviewée, exposée à la violence conjugale, analyse :

Chaque fois que nous avions déménagé, c’était pour volontairement couper ma mère de ses relations avec les autres. Notre père avait interdit l’accès aux médias sociaux et contrôlait l’utilisation d’Internet par notre mère. Ses mouvements quotidiens devaient suivre un horaire strict et régulier. Il ne nettoyait jamais la maison, ne faisait jamais le plein d’essence ni les courses à l’épicerie pour s’assurer que notre mère était occupée aux tâches ménagères pendant ses jours de congé, et ne pouvait donc pas passer de temps avec les autres.

Le fort esprit communautaire de ces collectivités rurales très unies, qui est une des joies de la vie rurale, facilite la violence, car il peut être tout aussi puissant à garder la violence familiale cachée.

Il est presque impossible pour une victime de demander de l’aide sans que les autres le sachent, d’appeler la police sans que la collectivité se pose des questions ou même de partager ses craintes avec d’autres en toute confiance.

Une victime raconte :

Vous pensez que la communauté des villages comme celui dans lequel j’ai vécu serait une source de soutien, mais en réalité, personne ne veut s’impliquer dans la vie personnelle d’une autre personne. Dans mon cas, parce qu’il a joué pour l’équipe de cricket du village, il avait le soutien de tout le monde et cela m’a fait me sentir encore plus isolée. C’était comme si personne ne voulait jamais prendre mon parti, alors je me suis retirée dans mon travail au à la maison et avec le temps, je suppose que je suis devenu un peu recluse.

Sans le savoir, la communauté facilite les violences, permettant à l’agresseur d’agir quasiment en toute impunité. Il est également prouvé que les agresseurs « recrutent » délibérément les membres de la communauté à leur cause, ce qui devient un mécanisme pour contrôler et isoler encore plus la victime.

Une autre personne interviewée explique lors de l’enquête :

J’ai eu tellement de mal à trouver quelqu’un à qui parler dans le village. Mais après qu’il m’ait crié dessus au pub ce soir-là, c’était comme si tout le monde s’était éloigné de moi.

Les entretiens approfondis avec les victimes et les survivantes ont révélé une autre réalité cohérente et révélatrice : les communautés rurales sont toujours dominées par les hommes et suivent un ensemble de principes séculaires, protégés et non écrits. Les hommes ont tendance à occuper les postes de pouvoir ruraux – chef de famille, propriétaire foncier, propriétaire terrien, policier, agriculteur. Cette société patriarcale rend les femmes plus vulnérables à la coercition et au contrôle.

Malgré les améliorations apportées ces dernières années, les victimes bénéficient d’un service de qualité inférieure dans les zones rurales. Cela s’explique en partie par le fait qu’il n’y a pas assez de policiers dans les régions rurales, et qu’il y a moins d’agents ayant reçu une formation appropriée en matière de violence familiale.

Une autre victime a dit qu’elle n’avait jamais envisagé d’appeler la police, ajoutant :

Vous n’avez pas vraiment le choix – la police est à au moins une heure de route et si cela se produit un vendredi ou un samedi soir, ce qui a toujours été le cas, elle s’occupe d’autres choses. Je n’ai jamais vraiment envisagé d’appeler la police – à quoi bon ? A ce moment-là, j’avais déjà été frappée, giflée ou frappée de toute façon.

Il a également été constaté lors de cette enquête que la disponibilité des services publics dans les zones rurales est en déclin, ce qui limite l’aide, les réseaux et les voies de secours à la disposition des victimes. Les services de soutien sont non seulement rares, mais également moins disponibles, moins visibles et moins efficaces pour soutenir les victimes, même si des personnes demandent de l’aide.

La ruralité a un impact significatif sur la violence domestique ce qui, à ce jour, a été négligé et ignoré par toutes les parties concernées. La nature même de la violence familiale est identique dans les régions rurales et urbaines. Cependant, la ruralité est une « arme » qui accroît l’isolement, la stigmatisation et la honte dans ces petites communautés, souvent repliées sur elles-même.  Elle crée des obstacles qui, sans une intervention proactive, empêcheront de nombreuses victimes d’avoir accès au soutien et de sortir des violences.

Les conséquences sont importantes  : les victimes et les survivants sont déçus et manquent d’une aide qui pourrait faire la différence quand sa propre survie est en jeu.  Il y a donc un besoin urgent de changement, qui doit être pris au sérieux par les décideurs, ainsi que par les organismes et services de première ligne dans les collectivités rurales. Le NRCN affirme que les résultats de cette étude intensive de 18 mois « sont durs, inquiétants et conduisent à un appel urgent à l’action du gouvernement, de la police, de la société et de nous tous ».

Julia Mulligan, présidente du NRCN et commissaire aux incendies et à la criminalité du North Yorkshire souligne que

ce rapport doit certainement être un catalyseur pour nous aider à mieux protéger les femmes, les enfants et les hommes des communautés rurales qui souffrent quotidiennement du calcul, de la manipulation, du contrôle et de la violence des agresseurs.

Bibliographie :

Fédération Nationale Solidarité Femmes (2016). Les violences faites aux femmes en milieu rural. FNSF.

NRCN. (2019). Captive and controlled : Domestic abuse in rural areas. National Rural Crime Network.

Le Réseau International des Mères en Lutte

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J’avais peur que ma mère, elle soit morte…

il se prenait pour le roi de la maison

[Pour une traduction automatique cliquer ici ]

Isabelle Côté et Simon Lapierre font partie du collectif de recherche féministe anti-violence FemAnVi.  Ce collectif cherche à mobiliser, soutenir, et mettre en lien les chercheur.e.s, les étudiant.e.s, les intervenant.e.s et les militant.e.s contre les violences faites aux femmes.

Les 9 et 10 avril 2015, FemAnVi organise un colloque intitulé « Les enfants exposés à la violence conjugale : conversations internationales pour des recherches et des pratiques novatrices ».  À cette occasion, la Faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa accueille 14 conférencières provenant du Canada, des États-Unis, de la Suède et de l’Angleterre.

Puis en avril 2016, Isabelle Côté, Vanessa Couturier, John Flynn et Simon Lapierre, rédigent et publient le compte-rendu de cette conférence.

Ils constatent que

les recherches sur les enfants exposés à la violence conjugale se sont surtout basées sur des données recueillies auprès d’adultes, incluant les mères et les professionnels. Ces recherches ne permettent pas de saisir toute la diversité et la complexité des expériences vécues par les enfants. Cette tendance s’explique, entre autres, par le peu de valeur accordée au point de vue des enfants de manière plus générale.

Ils mettent en avant également, et à juste titre, que les enfants

ne sont généralement pas considérés comme des sujets ou comme des acteurs sociaux suffisamment compétents pour être en mesure de définir et d’expliquer leur réalité. Cette tendance peut être généralisée à la société dans son ensemble, où le point de vue des enfants est rarement écouté et entendu.

Les recherches sur l’exposition à la violence conjugale mettent en effet l’accent sur l’ampleur du phénomène, ainsi que sur les conséquences sur le développement des enfants et des adolescents. Cependant peu d’études se concentrent sur leur expérience.

Au printemps 2018 à Montréal, Simon Lapierre et Isabelle Côté nous présentent plus en détail un livre qui donne une voix aux enfants qui ont vécu de la violence conjugale.

Entre 2011 et 2017, ils ont rencontré et interrogé 59 jeunes, âgés de 6 à 18 ans, par l’intermédiaire de maisons d’hébergements pour femmes victimes de violences conjugales. Plusieurs enfants participant à ce projet de recherche, leur demandent de partager leurs histoires afin que le grand public découvre leur expérience.  Ils souhaitent également que d’autres enfants, qui vivent ce genre de situation, se sentent moins seuls, et que cesse la violence.

Le projet de réaliser un livre à destination de la jeunesse est alors né. Intitulé : « Il se prenait pour le roi de la maison ! Des enfants parlent de la violence conjugale. »,  il est publié aux éditions du Remue-Ménage à Montréal.

L’illustratrice Élisabeth Eudes-Pascal proposent que les paroles des enfants, recueillies par Simon Lapierre et Isabelle Côté, soient représentées par des animaux.

Ce livre s’adresse ainsi aux enfants de 9 à 12 ans (page 5)  :

Alors s’il t’arrive, par exemple, de voir ou d’entendre ton père être violent envers ta mère, tu sauras que d’autres enfants, d’autres jeunes, vivent aussi cette situation. Tu verras que ça peut t’aider énormément d’en parler avec quelqu’un en qui tu as confiance.

Simon Lapierre explique dans un entretien :

Les enfants, quand ils vivent dans un contexte de violence conjugale, ils sont isolés, ils pensent qu’ils sont les seuls à vivre cette réalité. Dans ce sens-là, le livre pourra permettre de réaliser qu’ils ne sont pas les seuls, et du coup, ça devient moins difficile, moins tabou d’en parler.

Il est cependant recommandé qu’un adulte accompagne l’enfant lors de la lecture de ce livre. En situation d’intervention en violence conjugale, cet ouvrage peut favoriser les confidences et outiller l’adulte qui aide l’enfant dans ce contexte.

Ce livre s’adresse donc aussi aux adultes (page 7)  :

Les enfants nous ont aussi demandé de partager leurs propos avec tous les adultes qui côtoient des enfants, pour qu’ils soient sensibilisés à cette réalité et qu’ils soient alors en mesure de mieux soutenir les jeunes de leur entourage.

Isabelle Côté précise :

C’est aussi un moyen de sensibiliser leur entourage, de permettre une meilleure compréhension de leur situation et de fournir des repères afin de mieux les appuyer. 

Au fil de courts récits, en bandes dessinées, nous découvrons comment ces enfants vivent les violences, puis comment ils sont amenés à les dévoiler. Les agresseurs sont des pères ou des beaux-pères. Les enfants retrouvent, après une intervention extérieure, un mieux -être dans leur vie, une fois mis en sécurité.

Le livre met en avant que la principale crainte de l’enfant est que sa mère soit tuée.

Extrait page 18 :

Des fois, ça allait trop loin…

Ils se chicanaient souvent, pis dans une chicane, j’ai entendu que mon père… il a fait des menaces de mort à ma mère.

J’avais peur que ma mère, elle soit morte, à cause qu’il la frappait tout le temps.

Une fois mis en sécurité l’enfant est enfin apaisé et est « capable de sourire, et de rire ».

Extrait page 34 :

Ben c’est sûr que maintenant, ma mère, elle pleure plus, pis c’est plus le fun l’ambiance ! (…)

Moi pis ma mère, ça a toujours été spécial, parce qu’on s’est tout le temps compris dans le fond.

Ma mère, c’est ma vie ça. Genre… tu la tues, tu tues moi too ! C’est elle qui me fait pomper le cœur. Moi pis ma mère, on est vraiment… enchaînés ensemble.

Parallèlement le collectif de recherche FemAnVi propose un outil favorisant la communication mère-enfant en contexte de violence conjugale. Il s’adresse aux plus petits comme aux plus grands, ainsi qu’à leur mère. Il peut être utilisée lors du séjour en maison d’hébergement ou suite à celui-ci. Il s’agit d’une boite aux lettres, elle permet de :

  • Briser le silence sur la violence conjugale ;
  • Créer un espace de partage (bidirectionnel) pour les femmes victimes de violence conjugale et leurs enfants ;
  • Favoriser l’expression des émotions ;
  • Mettre l’accent sur les aspects positifs de la relation et renforcer ces aspects positifs ;
  • Favoriser une reprise du pouvoir pour les femmes et pour les enfants.

Les voix des enfants, par l’intermédiaire de ce livre, « Il se prenait pour le roi de la maison ! « , ces « leçons de vie qu’on oublie pas », nous permettent d’illustrer nos interventions sur la violence conjugale. Nous l’avons par exemple mobilisé à l’Université de Bretagne Occidentale en juin 2018.

Ce sont elles et eux les expert.e.s de leur vécu.

Le Réseau International des Mères en Lutte

Mémoriam : John Flynn nous a quitté en février 2019. Il était l’un des membres fondateurs du Collectif de recherche FemAnVi. Il a contribué de manière significative à son développement et à sa visibilité.

maj  2022, bibliographie complémentaire :

Simon Lapierre, Isabelle Côté & Geneviève Lessard (2022) “He was the king of the house” children’s perspectives on the men who abused their mothers, Journal of Family Trauma, Child Custody & Child Development, DOI: 10.1080/26904586.2022.2036284